"Gueules Noires" de Mathieu Turi

16 novembre 2023 à 19h00

Gueules Noires

★★★★☆

Par Patrick Saffar - Journaliste, historien et critique de cinéma

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Crédits photos : Gueules Noires ©Florent Grosnom, Full Time Studios, Marcel Films

Troisième long métrage de Mathieu Turi (un réalisateur à suivre), Gueules noires est une tentative méritoire de combiner, dans le cadre du cinéma hexagonal, ce qu'on pourrait qualifier de film d’aventures psychologique avec le film de genre (l'épouvante), voire le film historique, même si le fait que l’action soit ici "datée" (elle se situe en 1956) importe finalement assez peu lorsqu'on songe qu’elle se déroule quasi exclusivement au fond d’une mine.

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Crédits photos : Gueules Noires ©Florent Grosnom, Full Time Studios, Marcel Films

Passé un prologue marocain au cours duquel un jeune homme (Amir El Kacem) se voit recruté afin de participer, dans le Nord de la France, à des expéditions souterraines réputées particulièrement périlleuses, le catalyseur de l’intrigue repose sur le personnage d’un professeur (surprenant Jean-Hugues Anglade) qui n'hésite pas à soudoyer le Directeur du site (Philippe Torreton) pour intégrer un groupe de mineurs et pouvoir ainsi effectuer des prélèvements dans les entrailles de la Terre.

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Crédits photos : Gueules Noires ©Florent Grosnom, Full Time Studios, Marcel Films

De Gueules noires, on peut dire que l'appel de la fiction (comme on le dit d’un appel d'air) s'effectue sous des auspices prometteurs : sûreté dans la mise en place des plans, qualités plastiques (photo, décors …) dignes d’éloge, background socio-culturel intrigant, que commence par brosser un discours du chef de groupe (Samuel Le Bihan) sur l’origine du terme "Gueules noires" ("Parce qu'au fond de la mine, on a tous la même couleur. Celle du charbon"), absence totale de personnages féminins (logique, compte tenu du sujet) ironiquement soulignée par les prénoms (féminins) dont sont affublés les "courants d’air" par lesquels la mine est traversée … Toutes choses qui auraient pu donner un substrat original au film mais qui ne sont pas vraiment développées, y compris dans le traitement du personnage d'Amir, qui endosse le rôle du bouc émissaire, avant une fraternisation conclusive assez prévisible.

Reste que cette partie quasi-documentaire est assez prenante, avant que ne s'y greffe, sur fond de civilisation disparue, de sacrifices et de malédictions, le film de genre à proprement parler, l’horreur qui gît au fond de cette bouche d’ombre que constitue la mine.

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Crédits photos : Gueules Noires - Samuel Le Bihan ©Florent Grosnom, Full Time Studios, Marcel Films

Si, de toute évidence, Mathieu Turi connaît ses classiques (on pense à The Thing - version Howard Hawks et Christian Nyby ou John Carpenter - , Alien - Ridley Scott - ou, plus récemment, The Descent - Neil Marshall, dont Gueules noires constitue en quelque sorte la version exclusivement masculine), son film, comme souvent dans les œuvres qui reposent sur l'effroi, bute sur la figuration de la menace, ici incarnée (si on ose dire) par une théorie de squelettes s’agitant en tous sens et censés provoquer les réactions épouvantées de ces grands gaillards de mineurs. Gueules noires se déroulant presque entièrement dans une quasi obscurité, le réalisateur aurait pu se souvenir des films de Jacques Tourneur produits par Val Lewton (Cat People, Leopard Man …) et du pouvoir suggestif et angoissant des seules ombres qui s'y déploient. 

Si nous finissons malgré tout par trembler, c'est en grande partie grâce à la musique d'Olivier Derivières dont la partition sourde et inquiétante peut, en certains passages évocateurs d'une présence "archaïque", nous rappeler le mixage sonore qui accompagnait la séquence de rituel précédant la scène d'orgie dans Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick (Masked Ball composé par Jocelyn Pook).

On espère simplement que Mathieu Turi saura à l’avenir prendre appui sur un scénario un peu moins convenu (nous n’avons pas vu ses deux premiers longs métrages), propre à mettre en valeur pleinement les qualités visuelles dont il sait ici faire preuve.

Patrick Saffar

Synopsis : En 1956, dans le nord de la France , une bande de mineurs de fond se voit obligée de conduire un professeur faire des prélèvements à mille mètres sous terre. Après un éboulement qui les empêche de remonter, ils découvrent une crypte d’un autre temps, et réveillent sans le savoir quelque chose qui aurait dû rester endormi…

Gueules Noires à remporté 11 Awards outre-atlantique en 2023

Toronto After Dark Film Festival 2023 (Toronto, Ontario) (Canada) : Meilleur long métrage catégorie argent/Best Feature Film Silver - Meilleur réalisateur/Best Director (Mathieu Turi) - Meilleur Film d'horreur/Best Horror Film - Film le plus effrayant/Most Scary Film - Meilleurs effets spéciaux/Best Special FX - Meilleur monstre, créature/Best Monster, Creature (Keisuke Yoneyama, designer Mok'Noroth)

FilmQuest Festival 2023 (Provo, Utha) (USA) : Meilleur Long métrage/Best Feature Film

Screamfest Horror Film Festival 2023 (Los Angeles, California) (USA) : Meilleur Film/Best Picture - Meilleure Photo/Best Cinematography (Alain Duplantier) - Meilleurs Effets Spéciaux/Maquillage | Meilleurs Effets Spéciaux/Best Special Effects

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Crédits photos : Toronto After Dark Film Festival ©Toronto After Dark Film Festival - DR

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Crédits photos : Mathieu Turi©Mathieu Turi, Full Time Studios - DR

Mathieu Turi à propos de la musique d'Olivier Derivières

"Dans Gueules noires, la musique tient une place particulière. Elle propose son propre point de vue sur la narration et fait bien plus que souligner les moments d’angoisse du film. Personnage à part entière immédiatement identifiable, elle nous transporte dans un univers sonore original et terrifiant. Véritable institution dans le milieu du jeu vidéo, Olivier Derivières a travaillé sur Assassins Creed 4, A Plague Tale ou encore Remember Me et a reçu de nombreux prix. Il est pionnier et fervent défenseur de la musique dite "interactive", qui ne fait pas qu’illustrer l’image, mais évolue en fonction des actions du joueur. C’est cette originalité et ce point de vue fort et moderne que j’ai voulu mettre en avant. Il m'a fait part de ses idées en jouant sur des motifs très années 80, avec trois ou quatre notes et a fait venir des musiciens de l'Orchestre Contemporain de Paris en torturant certains instruments. À l'heure actuelle, on a perdu la culture des thèmes musicaux et la musique est devenue omniprésente, moi j’aime qu'elle surprenne, autant que la créature qui surgit de l’ombre. Olivier a donné au film une dimension "aventure et horreur" proche de celle de Predator avec un motif redondant. La partie chorale du prologue, qui se déroule en 1856 et que l'on retrouve à la fin du film, rappelle le choeur de la scène de bal de Eyes Wide Shut. Au moment du mixage, on s’est demandé si on allait mettre le choeur en avant et on a pensé à Eyes Wide Shut, Pirates des Caraïbes, Jusqu'au Bout Du Monde et Dune de Denis Villeneuve. On a joué sur des vibrations et le choeur dans le sens harmonique du terme avec des voix qui ne soient pas toutes dans la même note pour donner un côté rugueux à l’ensemble car, quand les mineurs chantent, ce n’est pas forcément juste. Quant au pénitent, il est accompagné d’une voix mystique dans une langue inconnue et l'acteur y a ajouté une prière en burkinabé".

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Crédits photos : Olivier Derivières ©Olivier Derivières, Ameo Publishing, Ameo Prod, Inc. - DR

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Gueules noires  (2023). Réalisation, Scénario : Mathieu Turi. 1er assistant réalisateur : Mickaël Cohen. Scripte : Emilie Delaunay. Musique : Olivier Derivière. Score Mixer : Jérôme Devoise. Photo : Alain Duplantier. Montage : Joël Jacovella. Son : Alexandre Andrillon. Décors : Marc Thiebault. Costumes : Agnès Noden. Coiffure et maquillage : Stéphanie Aznarez, Eric Ducron, Elise Herbé, Karine Palazzi, Nathalie Tissier, Vichika. Designer Mok'Noroth : Keisuke Yoneyama. Directeur de Casting : Florian Delhormeau. Casting : Samuel Le Bihan (Roland), Amir El Kacem (Amir), Jean-Hugues Anglade (Professeur Berthier), Thomas Solivéres (Louis), Diego Martín (Miguel), Bruno Sanches (Santini), Marc Riso (Polo), Philippe Torreton (Fouassier). Régie : Martin Berléand. Photographe de plateau : Florent Grosnom. Production exécutive : Eric Gendarme, Thomas Lubeau. Producteur délégués : Jordan Sarralie, Alexis Loizon, Bruno Amic. Directeur de production : Philippe Godefroy. Production : FullTime Studio. Co-production : Marcel Films. Distribution France : Alba Films. Ventes internationales : Kinology. Distribution Inde : Superfine Films (Inde), Capella Film (Russie). Date de sortie (USA) : 17 Octobre 2023 (Screamfest Horror Film Festival, Los Angeles, Première). Date de sortie Canada : 21 October 2023 (Toronto After Dark Film Festival, Ontario, Première). Date de sortie Espagne : 7 October 2023 (Sitges Film Festival). Date de sortie France : 26 août 2023 (Festival Du Film Francophone d'Angoulême, Première), 11 novembre 2023 (Arras Film Festival), 15 novembre 2023 (sortie nationale). Durée: 1h43.

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