The Fabelmans x Empire Of Light : retour aux origines

23 avril 2023 à 17h55

The Fabelmans x Empire Of Light : retour aux origines

Par Patrick Saffar

+ d'infos sur CINEMUSIC Radiosoutenir CINEMUSIC Radio | Nous contacter

Crédits photos : Olivia Colman (Hilary)/Empire Of Light ©Neal Street Productions, Searchlight Pictures, 20th Century Studios

À en croire les critiques de la presse quotidienne et hebdomadaire, une poignée de films sortis sur nos écrans depuis quelques semaines, parmi lesquels The Fabelmans, de Steven Spielberg et Empire of Light, de Sam Mendes, serait née de l’imagination de leurs metteurs en scène au cours de la période de confinement, cette dernière ayant favorisé chez ces derniers une introspection, de l’ordre intime aussi bien qu’artistique. 

Les deux films en question parlent donc, selon des approches différentes, d’un « retour aux sources », d’une vocation et particulièrement de ce terreau familial sur lequel s’est probablement nourrie l’inspiration de chacun des cinéastes. À cet égard, on est frappé de constater que, chez Spielberg comme chez Mendes, la figure centrale est, en tant que source d’inspiration, celle de la mère, dont l’influence apparaît évidente pour ces deux réalisateurs. On aurait pourtant tort de croire que ce mouvement de retour sur soi s’avère exclusivement empreint de nostalgie.

empire-of-light_capture10.jpg (196 KB)

Tom Brooke (Neil), Olivia Colman (Hilary) & Toby Jones (Norman)/Empire Of Light ©Neal Street Productions, Searchlight Pictures, 20th Century Studios

Chez Mendes, l’intrigue se déroule dans l’Angleterre du début de l’ère Thatcher, dans une ville balnéaire où trône un immense bâtiment en partie désaffecté, un cinéma du bord de mer qui affiche certains des titres phares de l’époque (Les Chariots de feu, Raging Bull …). La gérante, Hilary (Olivia Colman) est une femme solitaire, d’une fragilité mentale aisément perceptible (on la qualifie même de « schizophrène ») et qui, selon les dires de Sam Mendes, renvoie à la « maladie mentale » de sa propre mère. Sur ce substrat d’origine autobiographique (le scénario a d’ailleurs été écrit par Mendes seul), va venir se greffer une romance avec un nouvel employé, un jeune homme noir, Stephen (Micheal Ward) en proie au racisme de l'époque et en désir de partance, mais qui n’en va pas moins s’attacher à cette femme amoureuse, au cours de scènes à la belle délicatesse de touche (le pigeon emmaillotté sur le toit du cinéma, les châteaux de sable saccagés …), scènes qui savent prendre leur temps et ancrent ainsi le film à contre-courant d’un certain cinéma actuel. Au plan visuel, le film, certes un peu sage, joue sur l’alternance intérieur/extérieur et ombres/lumières, valorisant les somptueux décors et la photo due au fidèle Roger Deakins (1917, Skyfall, Les noces rebelles, Jarhead - La fin de l'innocence).

8048-10f5-film.jpg (128 KB)

Micheal Ward (Stephen) & Olivia Colman (Hilary)/Empire Of Light ©Neal Street Productions, Searchlight Pictures, 20th Century Studios

Mais si l’on devait retenir une scène matricielle d’Empire of Light, ce serait sans doute celle de l’explication, par le projectionniste, de l'« effet phi » par lequel la succession d’images fixes, séparées par des « masques », produit l’illusion du mouvement. A cet instant, telle que Mendes la filme, Hilary se retrouve prise dans la « machine cinéma » avec ses caches, ses chicanes, tout un artisanat dont le cinéaste paraît regretter la disparition. Et de fait, malgré ses multiples passages au noir à elle (ses crises intermittentes), malgré les zones d’ombre de l’époque, marquée par le racisme contre lequel l’Empire ne saurait être un refuge (le lynchage de Stephen), Hilary renaîtra, au moins provisoirement, à la vie, à l’occasion d’une séance de projection organisée à son attention (il s’agit du beau film d’Hal Ashby, Bienvenue Mister Chance, 1979). Et c’est là que le bât (nous) blesse quelque peu, dans ce que Sam Mendes dévoile de son rapport au cinéma.

empire-of-light_capture9.jpg (82 KB)

Olivia Colman (Hilary)/Empire Of Light ©Neal Street Productions, Searchlight Pictures, 20th Century Studios

« On va au cinéma pour s’évader », prétendent le projectionniste aussi bien que Stephen, et si rien ne dit explicitement que ce credo est celui de Mendes, le plan qui nous montre Hilary les yeux levés vers l’écran lumineux connote l’idée de guérison, ou plutôt de rémission (miraculeuse ?) par le cinéma. C’est à cet instant que nous voyons le plan resté fameux qui, dans le film dAshby, nous montre Peter Sellers « marcher sur l’eau » d’un étang. On doit toutefois mettre au crédit de Sam Mendes que Bienvenue Mister Chance ne conclut à aucun moment à une intervention miraculeuse, le phénomène pouvant s’expliquer par des raisons purement naturelles. Mais la « béatitude » d’Hilary demeure … 

Micheal Ward (2).jpg (436 KB)

Toby Jones (Norman) & Micheal Ward (Stephen) /Empire Of Light ©Neal Street Productions, Searchlight Pictures, 20th Century Studios

Davantage qu’Empire of Light, et d’une manière plus profonde, le dernier film de Steven Spielberg se centre sur le cinéma en tant que pratique artistique, et plus particulièrement sur les origines les plus intimes d’une vocation de cinéaste.

Il est peut-être symptomatique que l’on y explique le phénomène cinématographique (l’illusion du mouvement), non par l’effet phi (comme chez Sam Mendes) mais par la persistance rétinienne. Car c’est bien la rémanence d’évènements plus ou moins traumatiques qui est ici désignée comme étant au cœur de l’existence et du parcours du jeune Sammy (Gabriel LaBelle), ce fils de famille juive qui se découvre très tôt un désir de manier « le plus beau train électrique dont un garçon puisse rêver » (Orson Welles, à propos du cinéma). Et c’est, précisément le spectaculaire déraillement de train de Sous le plus grand chapiteau du monde (Cecil B. de Mille, 1952) que ses parents l’ont emmené voir alors qu’il était enfant, qui sera le catalyseur du désir de Sammy. De cet épisode violent va naître chez l’enfant, comme par compensation, une volonté de maîtrise, lorsque le petit garçon reconstituera dans sa chambre l’accident en miniature (on peut d’ailleurs relever que, pour sa part, Sam Mendes a pu déclarer : « En devenant metteur en scène, j’ai créé des univers que j’étais capable de maîtriser, contrairement à ma propre vie », in Télérama du 22/02/23).

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman) (6).jpg (499 KB)

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

Traversé de manière évidente par la psychanalyse (d’ailleurs sous-jacente dans la filmographie de Spielberg, de Rencontres du troisième type à Attrape-moi si tu peux, en passant par E.T.), le film, d’une vraie richesse thématique et visuelle, déploie les multiples paradoxes qui habitent la pratique du cinéma, du point de vue des motivations du créateur (volonté de pouvoir, culpabilité, désir d’être aimé …) mais aussi du spectateur (le curieux film sur les étudiants goys, et antisémites, du collège et l’effet inattendu qu’il provoque sur le plus odieux d’entre eux).

Michelle Williams (Mitzi Fabelman) (9).jpg (109 KB)

Michelle Williams (Mitzi Fabelman) & Paul Dano (Burt Fabelman)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

On savait que le divorce des parents de Spielberg avait profondément marqué le cinéaste. Dans The Fabelmans, ceci est clairement désigné, et recentré, par le rapport à la mère du jeune Sammy (interprétée par la formidable Michelle Williams), mère artiste (elle est pianiste) dont le corps vêtu d’une robe/écran translucide, s’offrira, en un moment audacieux, à la projection lumineuse organisée en pleine nuit par son fils. Mais ce n’est pas le seul « secret » que Sammy découvrira à l’occasion de sa pratique de cinéaste en herbe. À cet égard, la scène la plus mémorable, la plus émotionnellement chargée, du film porte sur la « découverte » d’un adultère (qui n’en est pas vraiment un) de la mère par le biais d’un petit film de famille, dont la vision par Sammy provoque souffrance, mais aussi une certaine volupté, alors que se font entendre les notes de piano égrenées par la mère dans une pièce contigüe.

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman) (4).jpg (566 KB)

Julia Butters (Reggie Fabelman) & Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

Cette amourette, qu’elle entretient avec une sorte de « faux oncle » de la famille est au cœur de sa douleur, en même temps qu’elle devient à cet instant le « point aveugle » du film dont Sammy est l’auteur. Ce secret qui pèse tant, la mère et le fils seront amenés à le partager, avant qu’il soit contrebalancé par un autre secret, de vie celui-là, délivré par le « vrai oncle » de Sammy : il faut savoir « déchirer sa chemise » !

 the-fabelmans_image4.jpg (359 KB) 

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman) & Judd Hirsch (Uncle Boris)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

Quant au secret de l’art, il se voit confier à une figure éminente, un père de cinéma s’il en est, et qui n’est autre que John Ford, savoureusement interprété par David Lynch. Cette leçon lapidaire, relative à la ligne d’horizon de l’image, est sans nul doute vouée à dessiner le propre horizon de Sammy, alors que nous le voyons s’élancer entre les allées du studio.

On le devine, The Fabelmans, co-écrit avec Tony Kushner (déjà auteur du scénario de trois films de Spielberg), et mis en musique de manière discrète par le vétéran John Williams, est une œuvre éminemment personnelle qui constitue sans nul doute un point d’orgue de la filmographie d’un cinéaste qui, n’ayant plus rien à prouver, a tenu ainsi, sur le tard, à nous mettre dans sa confidence.

David Lynch (2).jpg (1.99 MB)

David Lynch (John Ford)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman) (11).jpg (257 KB)

Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman)/The Fabelmans ©Universal Pictures, Amblin Entertainment, Storyteller Distribution

La musique Dans The Fabelmans

The Fabelmans est le 28ème film de Spielberg dont John Williams signe la musique et leur ultime collaboration. En juin 2022, Williams a annoncé qu’il mettait un terme à sa carrière de compositeur avec le cinquième opus de la saga Indiana Jones : Indiana Jones et le cadran de la destinée qui sera réalisé par James Mangold et produit par Spielberg.

« C’était un bonheur particulier d’écrire la partition de The Fabelmans, étant donné la nature personnelle du projet et ses personnages inspirés de la famille et de l’enfance de Steven Spielberg », affirme le compositeur. « Au fil des années, j’ai fait la connaissance des parents de Steven, que j’admirais profondément, et j’ai toujours été très impressionné par le talent musical de Leah (Leah Adler, la mère de Steven Spielberg, NDLR). C’est donc un film totalement à part, merveilleusement mis en scène et écrit par Steven et le brillant Tony Kushner. Je suis très heureux d’avoir modestement contribué à ce projet ».

John Williams a notamment écrit un thème mélodique qu’on entend vers la fin du film et qui se poursuit pendant le générique. « C’est l’un des morceaux les plus beaux qu’il ait jamais écrit pour l’un de mes films », remarque le réalisateur. « C’était une manière merveilleuse pour Johnny d’achever sa carrière de compositeur ». Il marque une pause. « Mais ne vous étonnez pas si je vais le chercher pour le sortir de sa retraite pour mon prochain film ».

Les morceaux pour piano ont été sélectionnés par Steven Spielberg et enregistrés pour la bande-originale par Joanne Pearce Martin, pianiste vedette du Los Angeles Philharmonic. « Tous les morceaux de musique classique joués au piano font partie du répertoire préféré de ma mère qu’elle jouait elle-même sur son piano », précise Spielberg. « Pour la scène où Sammy monte les petits films qu’il a tournés pendant l’expédition en camping et les révélations qui ont lieu à ce moment là, j’ai choisi l’Adagio de Bach, que ma mère adorait jouer au piano, et je me suis servi de cette musique pour toute la séquence ».

La musique d'Empire Of Light

La partition musicale d'Empire Of Light est de Trent Reznor et Atticus Ross, dont c’est la première collaboration avec Sam Mendes, après avoir été travaillé sur des films aussi divers que The Social Network et Mank (David Fincher), Mid90s, Bird Box, Soul et la série Watchmen diffusée sur HBO en 2019.

Voir plus  

The Fabelmans (2022). Réalisation, Scénario : Steven Spielberg. Scénario : Tony Kushner. 1er assistant réalisateur : Josh McLaglen. Scripte : Jillian Giacomini. Musique : John Williams. Photo : Janusz Kaminski. Montage : Sarah Broshar. Son : Ron Judkins. Décors : Rick Carter. Costumes : Mark Bridges. Direction Artistique : Andrew Max Cahn. Casting : Cindy Tolan. Interprétation : Michelle Williams, Gabriel LaBelle, Paul Dano, Mateo Zoryan, Judd Hirsch, Kristie Macosko Krieger, Carla Raij, Josh Mclaglen. Directrice de production : Carla Raij. Producteurs : Steven Spielberg, Tony Kushner. Production : Amblin Entertainment, Amblin Partners, Reliance Entertainment. Distribution France : Universal Pictures International. Date de sortie (USA) : 23 novembre 2022. Date de sortie (France) : 18 Octobre 2022 (Festival Lumière, Lyon) (Première), 25 janvier 2023 (sortie nationale). Durée : 2h30.

Empire Of Light (2022). Réalisation, Scénario : Sam Mendes. 1er assistant réalisateur : Michael Lerman. Scripte : Nicoletta Mani. Musique : Trent Reznor & Atticus Ross. Supervision musicale : Randall Poster. Photo : Roger Deakins. Montage : Lee Smith. Son : Stuart Wilson. Décors : Mark Tildesley. Costumes : Alexandra Byrne. Coiffure et maquillage : Naomi Donne. Direction Artistique : Neal Callow. Casting : Nina Gold. Casting : Olivia Colman, Michael Ward, Tom Brooke, Tanya Moodie, Hannah Onslow, Crystal Clarke, Toby Jones, Colin Firth. Régie : Emma Pill. Production exécutive : Michael Lerman & Julie Pastor. Producteur : Pippa Harris. Co-productrices : Celia Duval & Lola Oliyide. Directrice de production : Monique Mussell. Production : Neal Street Productions. Distribution USA : Searchlight Pictures. Distribution France :  The Walt Disney Company France. Date de sortie (USA) : 9 décembre 2022. Date de sortie (France) : 10 décembre 2022 (Les Arcs Film Festival, Les Arcs) (Première), 1er mars 2023 (sortie nationale). Durée : 1h55.

© 2023 - CINEMUSIC Radio - Toute reproduction ou adaptation même partielle est interdite sans autorisation.

+ d'infos sur CINEMUSIC Radio | soutenir CINEMUSIC Radio