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Selon ses propres dires, l’inspiration de la réalisatrice du Temps d’aimer s’alimenterait à une double source : celle de Maurice Pialat et de Douglas Sirk.
De fait, si le deuxième long métrage de Katell Quillévéré (Suzanne, 2013), avec ses cris, ses larmes, ses gifles, ses disparitions et réapparitions soudaines, était sous haute influence pialatienne (jusqu’au prénom de l’héroïne, emprunté à celui de Sandrine Bonnaire dans A nos amours - Maurice Pialat, 1983), son dernier opus semblerait plutôt, dans son romanesque assumé et même dans son titre, se souvenir de l’auteur hollywoodien du Temps d’aimer et le temps de mourir (Douglas Sirk, 1958). Non que le Temps de mourir soit absent du film mais, dans cette histoire qui, passé un prologue documentaire, débute dans l’immédiat après-guerre et vient à réunir une jeune serveuse travaillant en Normandie (Madeleine - Anaïs Demoustier) et un étudiant mélancolique venu de la capitale (François - Vincent Lacoste), Katell Quillévéré reste fidèle à ce qui animait la plupart de ses films précédents. Alors que chacun des deux jeunes gens, tombés dans les bras l’un de l’autre, apparaît détenteur d’un secret « honteux » (elle a couché avec un officier allemand, il est homosexuel) qui pourrait le plonger dans un état de déréliction, la réalisatrice tend à privilégier coûte que coûte un principe de vie, malgré les drames et vicissitudes de l’existence, et la mort elle-même. C’est que, dans ce film, les Love Streams (cf. John Cassavettes) sont à la fois mystérieux et sinueux.
Si on se demande plus d’une fois de quel étrange amour François est, jusqu’à la fin, aimé de Madeleine (et réciproquement), c’est que le couple, aussi bien que l’union matrimoniale, sont ici tout juste interrogés dans leurs éléments constitutifs, Katell Quillévéré préférant laisser au spectateur le soin de combler ou ressentir les sautes temporelles et autres ellipses, dont elle est d’ailleurs coutumière. Comme dans Suzanne, elle fait de surcroît "rebondir" son récit au long cours sur la nouvelle génération (le fils naturel de Madeleine, désireux de connaître l’identité de son père) permettant d’instaurer ce principe vital qui animait jusqu’à son précédent Réparer les vivants (2016), ce film à la fois clinique et lyrique.
Le Temps d’aimer, dont le scénario a été co-écrit par la cinéaste avec Gilles Taurand, fonctionne volontiers par "transfert d’intérêt" (d’un secret à l’autre) auxquelles répondent les diverses bifurcations du récit, tellement nombreuses qu’elles peuvent finir par déconcerter. C’est que ces dernières trouvent leur source dans la circulation du désir et de la culpabilité qui taraudent en tous sens les deux protagonistes. A cet égard, la scène de triolisme (avec un soldat américain), qui aurait sans doute pu inspirer un François Ozon, est avant tout un exercice de franchise, loin de la provocation gratuite attendue.
Au caractère à la fois daté et contemporain, abstrait et foisonnant, du film correspond d’ailleurs la remarquable musique d’Amine Bouhafa, dans un registre jazzy aussi bien que, plus classiquement, mélancolique, épousant en cela les différentes époques et humeurs de l’œuvre.
La construction narrative du Temps d’aimer, ses images récurrentes ainsi que les transferts d’intérêt déjà signalés permettent à l’ensemble de se renouer vers la fin (c’est l’aspect cyclique du film, fréquent dans les mélodrames) et il y a une certaine audace - même si on peut la rejeter - dans ce retour de la femme "tondue", par le fait du cancer.
Bref, c’est du vrai et bon romanesque qui, avant toutes choses, demande que l’on y croie (comme en amour, justement) et où Katell Quillévéré parvient à se renouveler tout en demeurant fidèle à elle-même. Il en va de même de Vincent Lacoste qui trouve là des accents inédits et qui forme avec Anaïs Demoustier un couple de cinéma au-delà de tout éloge.
Patrick Saffar
Synopis : 1947. Sur une plage, Madeleine, serveuse dans un hôtel restaurant, mère d'un petit garçon, fait la connaissance de François, étudiant riche et cultivé. La force d'attraction qui les pousse l'un vers l'autre est à la mesure du secret dont chacun est porteur. Si l'on sait ce que Madeleine veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre avec le temps, ce que François tente désespérément de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien...
Notre avis sur la musique du film composée par Amine Bouhafa : Une B.O d'une belle et forte intensité à la fois sensible, pudique, légère, romantique, profonde et souvent empreint de nostalgie. Entre passé et présent, la partition d'Amine Bouhafa accompagne subtilement, sur le fil et de manière in(di)visible les personnages dans leurs sentiments ambigus, leur(s) secret(s), leurs doutes, leurs moments de rupture ou de regrets. Sur Le Temps d'aimer, Amine Bouhafa est au piano, accompagné par un ensemble de cordes et trois solistes talentueux dont Marie Laforge à la flûte, Sylvain Gontard à la trompette et Fabien Mornet à la guitare. Amine Bouhafa confirme à nouveau son rôle de "troisième auteur" aux côtés de Katell Quillévéré et Gilles Taurand, réalisatrice et scénariste du film.
À propos d'Amine Bouhafa : Après la série Le Monde de demain, il s'agit de la deuxième collaboration entre Amine Bouhafa et Katell Quillévéré.Chevalier des Arts et des Lettres multi-instrumentiste, Amine Bouhafa obtient en 2015 le César de la meilleure musique originale et le Grand Prix France Musique-SACEM de la musique de film et le prix de la meilleure musique au FESPACO pour Timbuktu réalisé par Abderrahmane Sissako. En 2017, il est lauréat du Prix de la meilleure création sonore décerné à Cannes par l'Association Française du Son à l'Image pour La Belle Et La Meute. En 2020, il reçoit le prix de la meilleure musique originale au Festival du Film de Rome 2020 et au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux pour Gagarine réalisé par Fanny Liatard et Jérémy Trouilh.
Katell Quillévéré à propos de la musique du film : "La relation désir-honte est au cœur de la direction musicale du film. Avec Amine Bouhafa, nous avons vraiment cherché à exprimer ce lien. La musique qui accompagne la souffrance des femmes tondues ressurgit ensuite dans les moments où les secrets de Madeleine et François les rattrapent, mais aussi dans les moments où leurs désirs profonds ressurgissent. Les cris de trompette accompagnent leur souffrance la plus intime, comme leur jouissance. Dans un registre très différent, Amine Bouhafa a conçu un second thème, celui de l’union, qui surgit au moment du premier baiser de Madeleine et François, puis revient après chaque épreuve traversée par le couple, au moment où ils se retrouvent. Plus ils avancent dans la vie, plus ce thème s’enrichit, se charge de leurs épreuves et de la maturité de leur amour".
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